Le Japon du Sud (3/3)

Publié le 19 Octobre 2015

Mines de phosphate à Nauru.
Mines de phosphate à Nauru.

Je prenais mon petit-déjeuner arrosé d'un thé au Manuka et assaisonné d'un nashi (j'avais entendu dire que c'était le fruit par excellence pour les lendemains difficiles), et me dirigeais vers la gare centrale de Wellington. Les rues étaient déjà animées en ce samedi matin. Sur mon chemin je croisais le regard hagard d'oiseaux de nuit qui n'avaient vraisemblablement pas fermés l'œil et circulaient parmi les dernières traces des festivités de la veille. J'entrais finalement dans une grande bâtisse où l'écho des pas des voyageurs raisonnait sur son carrelage marbré. Je suivais les indications que m'avait laissées Andrew et montais dans un train en direction de Vogel University, située à Lower Hutt où devait se tenir la conférence. Les wagons frôlaient les eaux écumeuses de la baie de Wellington et venaient ruisseler en gouttes sur les vitres sur lesquelles soufflaient le vent du sud, lavant les voyageurs de leurs soucis quotidiens. Je descendais après une vingtaine de minutes à la station d'Epuni presque au cœur de l'une des plus grandes université du pays. Des panneaux signalaient où se déroulerait le séminaire. Parcourant le campus, je me rappelais de ces jours bénis où j'étudiais encore, dont on ne comprend la valeur qu'une fois qu'ils ne sont plus.


Devant l'amphithéâtre, je retrouvais Andrew qui, non sans m'avoir taquiné à propos des poches sous mes yeux d'un trait d'humour tout kiwi, me dit où mes confrères et consœurs m'attendaient. Moana était également là. Elle animerait la conférence sur le réchauffement climatique. Le lieu n'avait pas été choisi au hasard : depuis plusieurs années déjà, les îles du Pacifique bataillaient pour qu'un accord mondial soit conclu, elles qui les premières étaient victime d'une élévation du niveau de la mer qui mettait en danger leur existence même. Une heure et demie plus tard, nous étions sept à la tribune devant un parterre venant de tous pays. Quelques officiels étaient installés au premier rang. Anja, une de mes collègues enseignant sur l'un des sites de l'université du Pacifique à Nauru, ouvrait la convention :


" Je suis née sur un coquillage. Un coquillage qui dépasse à peine de la couronne de récifs de l'Océan. Il n'est pas bien haut, et pourtant, pendant des décennies, l'Homme a réussi à le creuser, à l'exploiter, à l'user. Le peuple de Nauru ne s'est pas laissé faire. Il a réussi à obtenir son indépendance, et de ce bivalve a fait une perle. Il a transformé ce que les européens lui avait laissé pour en faire une des nations les plus riches au monde. Les nauruans pensaient avoir gagné, qu'ils pourraient enfin vivre en paix, sur leur terre où ils avaient fait s'élever des grattes-ciels pour s'approcher d'Hina. Mais les Nauruans s'étaient trompés : leurs ennemis n'étaient pas les européens. Leur ennemi c'est l'humanité, lui-même et ses frères qui, au-delà de la mer, continuent de raviner la terre-mère, de lui boire son lait jusqu'à l'assécher. L'Homme n'a pas besoin d'être à Nauru pour blesser. Il peut le faire où qu'il soit sur terre.


Lorsque l'on tire sur le sein de sa mère mais qu'on ne la nourrit pas, qu'on ne lui en laisse pas le temps, la mère dépérit. Elle tombe malade et montre les premiers signes de la fièvre. Sa température monte. La mère se meurt. Elle pleure et ses larmes, sa sueur, viennent s'abattre sur la terre de ses enfants, faisant monter les eaux qui la couvre, comme le fit Rigi en son temps. Il ne suffit pas de consoler un malade pour qu'il se porte mieux. Il faut le soigner, traiter non pas ses symptômes mais leur cause. La maladie de la terre aujourd'hui, c'est l'Homme qui vient détruire ce que la nature lui a offert, au risque même de disparaître lui aussi. Et pourtant il reste sourd. Après tout, l'européen n'a pas grand chose à perdre, pas plus que l'asiatique ou l'américain. Ce n'est pas son jardin qui se retrouve sous les eaux. Ce n'est pas son pays qui risque de disparaître. C'est ce petit pays du bout du monde, celui dont on n'entend parler que lorsque l'on suit le cours de la bourse, et où l'un de ses amis a un jour été faire un voyage d'affaire. Mais ce qu'il oublie, c'est que c'est justement parce qu'il commerce avec lui que l'européen, l'américain ou l'asiatique est vulnérable. S'il ne change pas, s'il n'écoute pas plus la souffrance de sa mère, s'il continue à se détourner de son regard fiévreux, c'est lui aussi qui en pâtira. D'abord, il perdra ses partenaires commerciaux, son argent. Il les remplacera, comme il l'a toujours fait. Puis les réfugiés climatiques viendront frapper à sa porte. Il les accueillera, les dispersera pour que leurs cris soit moins forts. Puis un jour, ce sera sur lui que les sueurs enfiévrées de la terre-mère viendront d'abattre, ce ne sera plus seulement de l'autre côté du monde. Ce sera à Amsterdam, ce sera à New-York, ce sera à Hong-Kong, ce sera à Wellington.


C'est pour cela que nous nous retrouvons aujourd'hui, parce que ce qui arrive à ces petits pays du Pacifique et ici, déjà, en Nouvelle-Zélande, est aussi amené à vous arriver à vous, à l'autre bout du monde. Si nous n'agissons pas maintenant, vous, nous serons responsable de la mort des enfants de la terre. Elle survivra. Elle en a vu bien d'autres. Elle a enfanté des milliers d'espèces et a été confrontée à bien d'autres cancer. Mais elle survivra sans ses enfants qui seront devenus une maladie dont elle se débarrassera. Alors si nous sommes réunis ici aujourd'hui, ce n'est pas pour sa survie, c'est pour notre survie, la survie d'enfants qui, s'ils n'apprennent pas à grandir, mourront, disparaîtront comme un simple virus. Il est grand temps : agissons".


Le discours d'Anja fut salué d'un tonnerre d'applaudissements se faisant plus timide dans les rangs des officiels venus d'outre-pacifique. Les exposés se succédèrent dont le mien pour l'organisation que je représentais. À la fin de la journée de conférence, j'allai m'entretenir avec Anja que je n'avais pas encore croisé. Nous discutâmes changement climatique, action gouvernementale et politique. Je lui demandais pourquoi je ne l'avais pas aperçu le soir précédent :
"Je suis arrivée deux jours plus tôt", me dit-elle. "Je voulais m'éloigner du brouhaha de la ville, alors j'ai pris un train depuis Wellington qui empruntait le tunnel sous le détroit de Cook, et je me suis reposée sur la côte ouest de l'île Waka. Vous devriez y aller, c'est le dépaysement assuré. Et avec le Matā tereina, on y est en un rien de temps. C'est bien l'un des avantages de ce pays : il a su développer son réseau de transport pour que l'avion ou la voiture ne soient plus les moyens de déplacement privilégiés, comme au Japon. Qui sait ce que cela aurait été en d'autres circonstances. Vous devriez vraiment aller découvrir le sud, là où la vue ne donne pas sur les plateformes offshores, c'est vraiment magnifique. Et les néo-zélandais ont su créer ce mélange de culture qui leur est propre, avec une proportion parfaite d'inspiration Maori, polynésienne, mélanésienne, asiatique et européenne. Il n'y a rien de mieux que d'être assis dans un transat couverts de motifs de prunus en fleurs, enfoncé dans le sable noir d'une plage, en chemise polynésienne et chapeau en lin néo-zélandais, dévorant un kulfi et écoutant de la fatele-pop".


Comme il se faisait tard, je mettais un terme à cette conversation, promettant à Anja que nous nous garderions contact. Je décollais le lendemain, laissant derrière moi le pays du long nuage blanc et songeant à combien les choses seraient différentes si le fameux canal du Nicaragua n'avait jamais été construit. Quoi que...

Rédigé par Pausanias

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