La capote anglaise

Publié le 9 Novembre 2015

Campagne néo-zélandaise de sensibilisation au port du préservatif.
Campagne néo-zélandaise de sensibilisation au port du préservatif.

Autant dire les choses abruptement telles qu'elles me paraissent : en comparaison d'une ville telle Paris, New-York ou Londres, je ne crois pas pouvoir dire qu'il existe une réelle vie communautaire homosexuelle à Wellington. Il existe bien deux bars gays - l'un plutôt réservé à une clientèle d'âge mûr et l'autre à des plus jeunes encore marquée par les derniers signes de l'adolescence - mais en dehors de ceux-ci, je n'ai jamais entendu parler de soirées éphémères ou de collectifs qui organiseraient de pareils événements où pourraient se retrouver les membres de la communauté homosexuelle. Il m'est également assez difficile de côtoyer des groupes d'amis dont le lien d'amitié reposerait sur leur attirance pour les personnes de même sexe pour la simple et bonne raison que les amitiés sont ici rarement liées à la sexualité : les hétérosexuels sympathisent avec des bisexuels ou homosexuels, sans distinction.


Pourquoi ? Il me semble qu'en réalité c'est parce que, comme beaucoup, je me figure la communauté homosexuelle de manière uniforme, telle que je la connais dans les grandes villes occidentales, alors qu'elle est multiforme. Des études sociologiques ont, il est vrai, mis en évidence des traits communs à cette population tels le mode de consommation, l'inscription territoriale ainsi que le rapport à la santé et aux normes de genre. Mais ces éléments ne suffisent pas à caractériser une communauté monolithique et les contrastes sociologiques, culturels, professionnels et sociaux sont nombreux. En somme, il existe une multitude de communautés homosexuelles dont les membres s'unissent autour de caractéristiques distinctes d'un groupe à l'autre, et tous les homosexuels ne se reconnaissent pas forcément dans une ces communautés. Par le passé, elles se sont unis (ou s'unissent parfois encore) dans ce que l'on nomme une "communauté de stigmate", à savoir un groupe de personnes partageant une ou plusieurs caractéristiques, qui se seraient réunis car étant soumises à un ou plusieurs types d'oppression en raison de celles-ci. Cela ne répond néanmoins pas à la question de savoir ce qui a fait que les communautés homosexuelles néo-zélandaises ne se sont pas développées comme en France par exemple.


La Nouvelle-Zélande est un pays à la culture somme toute occidentale, qui a également été le théâtre de répression contre les personnes alors jugées déviantes, et a aussi connu en réponse un mouvement de contestation dans les années 1970-1980. Néanmoins ce mouvement ne me paraît plus aussi fort aujourd'hui. Serait-ce la taille de sa population qui renfermerait un élément de réponse et aurait permis une meilleure acceptation, amenant l'élément stigmatisant de la communauté de stigmate à disparaître ? Cela ne me semble pas certain si je dois en croire les difficultés rencontrés encore aujourd'hui par de nombreux homosexuels de l'Île du Sud, pourtant moins peuplée, et où un grand nombre d'entre eux serait encore obligé de ne pas vivre leur sexualité en plein jour.


La communauté de stigmate se construit lorsqu'il existe une forte opposition à une politique gouvernementale organisée. L'élément politique, l'ennemi commun, favorise l'émergence de la communauté. Cependant, en Nouvelle-Zélande, les deux plus importants partis politiques (Labours et Nationals) ne s'opposent pas sur ces questions et ont soutenu par exemple la légalisation du mariage homosexuel. Les communautés qui demeurent sont souvent celles qui ont un positionnement politique s'éloignant de la ligne de ces partis, mais elles sont également moins nombreuses. En somme, la majorité des homosexuels ne ressentiraient pas le besoin de s'unir dans une communauté telle que celles que l'on peut voir en Europe ou aux Etats-Unis car l'élément politique et le sentiment d'oppression se seraient fortement dissipés depuis les années 1980. On pourrait croire que je deviens obsédé par cet ouvrage que j'ai entrepris de lire et qui traite de la montée de l'individualisme, mais il est egalement possible que celui-ci joue un rôle dans cette évolution, avec la montée massive de cette philosophie ici dans les annees 1980-1990. Elle pourrait expliquer l'absence d'une communauté homosexuelle telle que la décriraient le commun des mortels en Europe où c'est le groupe et non l'individu qui est mis en avant. Il n'y a dès lors pas ou plus d'intérêt à s'unir. C'est sans doute en réalité chacun de ces éléments qui contribue à une vie communautaire si différente.


Malheureusement, la montée de ces comportements individualistes semble avoir un revers. J'ai pu constaté que les pratiques sexuelles dites "à risques" sont plus fréquentes que j'ai pu le voir ailleurs. Je ne puis néanmoins que parler de mon expérience personnelle, n'ayant pas accès à une étude nationale pour l'ensemble des néo-zélandais. Si j'en crois les chiffres pourtant, le taux d'avortement pour mille femmes est relativement faible en Nouvelle-Zélande, même en comparaison de l'Europe. On constate néanmoins une augmentation du nombre d'infection au VIH depuis 2011. Je n'ai pas été en mesure de trouver des chiffres permettant de comparer le nombre d'infections aux IST et MST mais plusieurs "alertes" lancées ici ou là me font penser que leur nombre est également en augmentation, bien qu'il reste faible proportionnellement aux taux que l'on retrouve sur le vieux continent. Il y aurait donc bien une recrudescence des pratiques dites à risques. On pourrait penser qu'il ne s'agit que d'une question de génération, mais ce genre de pratique m'est revenu aux oreilles aussi bien pour des jeunes que des plus âgés. Je ne compte plus le nombre de fois où l'on m'a proposé ou parlé de relations non protégées. Le prix de vente des préservatifs y serait-il pour quelque chose ? Ils ne sont pourtant pas plus chers qu'une bouteille d'alcool ou qu'un paquet de cigarette. Peut-être le sentiment d'isolement et de petitesse du pays y jouent-ils un rôle particulier. Je crois me souvenir, bien que mes expériences en ce domaines aient alors été quasiment nulles, que ces pratiques étaient également courantes en Norvège, pays à la population peu nombreuse aussi, lorsque j'y étudiais en 2006-2007. Elles le sont aussi dans d'autres pays pourtant bien plus peuplés telle la Chine, mais je crois pouvoir mettre cela sur le dos d'absence d'éducation sexuelle et d'information en la matière. Il semblerait donc que ce soit une question de temps, de période, comme partout ailleurs où la peur du sida recule à mesure que l'épidémie régresse.


Mais l'individualisme joue peut-être aussi un rôle. Dans le cas d'une infection par quelque maladie qu'il soit, il y a une part la crainte d'être soi-même infecté, mais également celle d'infecter les autres. Une montée de l'individualisme pourrait, en ce sens, induire un déclin de cette dernière crainte amenant à des comportements plus dangereux, plus égoïstes, et à la propagation d'un virus. La perte de locus de contrôle externe résultant de l'individualisme pourrait également amener à moins blâmer les autres si l'on venait à être infecté. Il n'y aurait plus de sens partagé des responsabilités.


L'absence de communauté politique partagée au sein d'une communauté sociologique, couplée à montée de l'individualisme, auraient en somme aboutit à la quasi disparition de la communauté homosexuelle. Ce qu'il en resterait se présenterait principalement au sein de groupes partageant une opinion politique atypique, ou dont le lien communautaire reposerait sur le partage d'une autre caractéristique culturelle et/ou sociologique suffisamment forte pour le maintenir. De ce point de vue, la Nouvelle-Zélande pourrait ainsi présenter le visage que la communauté homosexuelle, dans d'autres pays du monde allant vers plus d'acceptation politique de l'homosexualité mais aussi d'individualisme (les deux n'allant pas forcément de pair), aura dans quelques années.

Rédigé par Pausanias

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