Lilliput

Publié le 9 Juin 2015

Lilliput

J'ai jusqu'à présent essentiellement parlé des bons côtés de la Nouvelle-Zélande, à l'exception peut-être de quelques remarques personnelles (un petit passage à vide suivant un léger mal du pays). Une chose néanmoins me chiffonne depuis un certain temps et il n'est pas un endroit que je puisse regarder sans que cela ne me revienne à l'esprit : "la Nouvelle-Zélande est un petit pays". En disant ces mots, je ne rapporte pas mon propre sentiment mais ce que j'ai entendu et qui m'est ressassé constamment depuis mon arrivée.

La Nouvelle-Zélande compte quatre millions et demi d'habitants. Elle se trouve à plus de 19 000 kilomètres de l'Europe, c'est une île, et son seul vrai grand voisin accessible est l'Australie à trois heures d'avion. On trouve également à proximité une multitude de petites nations insulaires du pacifiques, mais s'y rendre prend au minimum quatre heures et demande encore plusieurs heures de trajet supplémentaire avant de pouvoir rejoindre des nations tels que les îles Samoa ou Fidji. Le pays est encore relativement jeune puisque sa colonisation n'a réellement commencée qu'après 1830. La population de New-York de l'époque équivalait à celle de Wellington aujourd'hui (soit un peu plus de deux-cent mille personnes). Il est vrai donc que la Nouvelle-Zélande est un petit pays si l'on s'en tient à ces chiffres. Mais ce que je regrette, c'est que cette petitesse soit souvent prise comme une excuse pour expliquer pourquoi telle ou telle chose n'est pas menée à bien ici.

Souvent, lorsque je parle politique et réformes possibles, on m'oppose qu'elles ne sont pas possibles ici, quand bien même je prendrai pour exemple des pays scandinaves qui par leurs tailles et leur économie se rapprochent d'Aoteraoa. De même, en matière d'art et de culture, bien que j'ai la chance de me trouver dans la capitale culturelle du pays, on m'explique souvent qu'il faut plutôt songer à partir ailleurs si l'on souhaite se cultiver, apprendre ou créer. Le début d'une carrière pourra débuter ici mais si elle parvenait au succès, elle se traduirait irrémédiablement pour celui qui en bénéficierait par un départ pour l'étranger. Il est généralement rare de croiser un Kiwi n'ayant jamais posé le pied au-delà de ses frontières. Combien de fois m'a-t-on rappelé que j'avais une chance inouïe de venir d'Europe et d'avoir été baigné d'une culture plus que millénaire qui s'expose à l'œil du visiteur à chaque coin d'un pays du vieux continent.

Comme je l'ai déjà expliqué (cf. mon billet "le complexe français"), je n'apprécie pas particulièrement qu'on me rappelle à ces origines que je considère comme un poids. Mais je fais la part des choses et reconnaît la richesse de ce passé dont j'ai en partie hérité. Cependant, une culture se construit et persister à penser que l'on n'est pas en position d'y concourir chez soi, de par sa taille, ne contribue pas à s'en créer une originale et singulière. J'ai toujours considéré que la taille n'était pas synonyme de qualité (en la matière) et je m'évertue donc à chercher ces contre-exemples qui seraient à même de convaincre les Kiwis ; pour citer E.F. Schumacher, "small is beautiful". Wellington n'est pas plus peuplée que ne l'était l'Athène antique, la Rome Antique, le Londres du début de l'ère élisabéthaine ou le Paris de 1600. Ces villes n'en étaient pas moins des centres politiques, intellectuels et culturels majeurs. Le contexte a changé il est vrai, mais rien n'empêche les Néo-zélandais de concurrencer les plus grands, sans pour autant perdre de leur singularité et atouts (j'espère en disant cela ne pas devenir moi-même la victime consentante des rêves de grandeurs du moule français, mais ce à quoi je fais référence relève de la qualité et non de la quantité).

Pour que le germe d'une culture à part entière grandisse, il lui faut un engrais : la volonté, croire en ses capacités et se faire confiance. Certains m'ont dit que l'absence de ces qualités était le symptôme d'une servilité culturelle : croire que de nombreuses choses sont mieux ailleurs et ressentir un complexe d'infériorité face à la mère patrie d'origine. Peut-être y a-t-il aussi une part de crainte à avoir à porter le poids d'une culture qui deviendrait étouffante et dont la charge serait trop lourde (il peut être rassurant de se reposer sur les autres), mais je ne pense pas que ce sentiment soit intrinsèque à la mentalité Kiwi. Dans un monde globalisé, se construire en parallèle ajoute aussi à la difficulté. Mais je crois que l'avenir se construira sur un monde sans doute globalisé, mais composé d'une multitude de petites communautés à taille humaine dans lequel la Nouvelle-Zélande peut pleinement s'inscrire. Ce pays est au carrefour des cultures européenne, maori, pacifique, indienne et chinoise et ce défi n'est pas impossible à relever vue ses qualités multiples, ses ressources humaines immenses et l'absence de la charge d'un passé dans lequel il serait emprisonné. Peu d'endroit dans le monde peuvent se targuer de ses atouts mais pour relever ce défi, il convient de mettre un pied à l'étrier et de faire preuve d'un peu de nombrilisme, pour une fois, en regardant chez soi plutôt qu'ailleurs.

Rédigé par Pausanias

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article